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« Pour l’amour de Dieu, pourquoi ? »


































Sonia LeRoy partage l’horreur, et l’espoir, d’une récente « ronde de nuit »


« Depuis que nous avons découvert il y a quelques années la pratique d'Issa Kouyaté de patrouiller après minuit les allées sombres, les cours de transport et les recoins sombres et dangereux de Saint-Louis pour retrouver des talibés en fugue, des "rondes de nuit" sont devenues une partie intégrale des activités de Maison de la Gare. Les équipes partent maintenant du centre de Maison de la Gare au moins deux fois par semaine à la recherche de jeunes garçons qui ont fui leurs daaras, généralement en raison d'abus ou de crainte de représailles pour n'avoir pas atteint leur quota de mendicité.

Les garçons font face à un risque terrible lorsqu'ils sont en fugue. Ils essaient de trouver un équilibre délicat entre ne pas être trouvé et ne pas se retrouver trop seul et ainsi plus à risque d’être soumis aux caprices des prédateurs sexuels ou d’autres personnes prêtes à tirer avantage de leur vulnérabilité. Leurs vies vulnérables deviennent encore plus outrageusement exposées à la chance de rencontrer le mal quand ils vivent dans la rue la nuit. Pendant les jours, le pire que les talibés doivent affronter dans la rue est généralement les blessures, la faim, l'épuisement et l'intimidation. Imaginez à quel point la situation de ces enfants peut être difficile, au point qu’ils s’enfuient tout même, tout en sachant ce qui les attend dans la nuit.

Chaque fois que nous nous sommes sortis avec Issa ou une autre équipe pour une ronde de nuit, nous ressentions au départ une excitation à peine réprimée mêlée d'anxiété. Et de peur. Pas la nôtre, mais la perception de ce que les garçons que nous recherchions devaient vivre. L'excitation que nous allions les trouver et les aider. L'anxiété que nous pourrions les trouver ; nous gardions l’espoir qu'il n'y en ait pas dans les rues ce soir. Mais, malheureusement, il y en a toujours beaucoup.

La toute première fois que mon père, ma fille Rowan et moi sommes sortis la nuit, ce que nous avons vu nous a marqués pour toujours. Nous avions l'intention de sortir la veille, mais attendions une équipe de journalistes qui voulait suivre Issa avec des caméras. Alors on a remis la sortie à plus tard. La deuxième nuit, l'équipe de presse nous a demandé une autre fois de reporter la sortie mais nous avons décidé d’y aller sans eux. Nous avons trouvé quatre garçons, serrés les uns contre les autres dans le froid, dissimulés dans leurs t-shirts. L’un des petits enfants était plus difficile à approcher, plus réticent à nous faire confiance. Rowan a fini par gagner un petit sourire alors qu'elle zippait doucement sa veste Lululemon autour de lui. Nous avons appris plus tard qu'il avait été agressé sexuellement la veille dans la rue. LA NUIT AVANT ! Le souvenir de ce triste événement m’habite et m’habitera toujours.

La nuit de jeudi dernier, Idy et Bathe, des responsables de l'équipe de ronde de nuit, ont rencontré Rowan et moi à minuit au centre de Maison de la Gare. Nous avons pris des taxis à la gare routière de Saint-Louis, à la périphérie de la ville. C'est une vaste zone pleine de centaines de bus, camions et voitures prêts à décoller dès le matin vers de différentes régions du Sénégal, de la Gambie et au-delà. Les enfants en fugue se cachent souvent ici avec l'idée qu'ils pourraient trouver une place clandestine pour rentrer chez eux. Comment souvent les enfants se trouvent-ils dans un autre pays inconnu ? Je ne peux pas supporter cette pensée. Et, parfois, pendant que les enfants dorment sous les véhicules pour rester hors de la portée des prédateurs potentiels, ils sont écrasés par les roues des véhicules qui commencent à bouger plus tôt que prévu, avant que le soleil ne se lève.

Nous avons trouvé cinq garçons. Après avoir rencontré trois autres membres de l'équipe, nous nous sommes divisés en deux groupes, Rowan avec Idy et moi avec Bathe. Nous rôdions à travers les ruelles étroites et pointions les faisceaux de nos lampes de poche sous les voitures, dans les bus garés, derrière les recoins. Ma lumière éclaira soudain un homme, blotti sous une couverture, caché derrière un demi-mur. En déplaçant un peu ma lampe de poche, j’éclairai un petit paquet se trouvant en face de l'homme. Ibrahima ! Bathe a estimé son âge à dix ans. Comment ce petit gamin pouvait-il avoir plus de six ans? Bathe le réveilla doucement et lui parla en wolof. Nous avons convaincu le garçon de nous suivre. Mais je suis restée un pas en arrière, avec une main tendue prête à le saisir s’il décidait de s’enfuir.

Peu de temps après, nous avons trouvé trois autres garçons, entassés sous un grand lambeau de toile. Alors que nous les réveillions doucement je fus, comme c’est le cas chaque fois, durement frappée par cette réalité. Que peut-on faire ? Rien d’autre qu’agir, sans penser. Après tout, qu'est-ce que je ressens moi, par rapport à ce qu'eux ont vécu ?

Nous nous sommes retrouvés avec le groupe de Rowan et avons fait une pause pour prendre en note les noms et les daaras des garçons, et pour en apprendre un peu sur l’histoire de chacun d’eux. La nuit est froide à cette période-ci de l'année. Le petit Ibrahima tremblait, peut-être à cause du froid, peut-être à cause de la peur. Rowan enleva son pull préféré (déjà vu) et en revêtit le petit. Pendant que celui-ci profitait de la chaleur de son nouveau vêtement, Rowan éplucha quelques oranges et les distribua. Ensuite, nous avons sauté dans des taxis pour retourner au dortoir d'urgence de Maison de la Gare. Pendant que nous quittions la gare routière, un autre petit talibé s'est approché de la voiture. Il avait tout regardé. Il a dû nous percevoir comme étant des gens aidants et non des gens de mal. Il a sauté dans la voiture puis s’est endormi.

À notre arrivée au centre, les garçons furent enregistrés auprès du travailleur social qui est toujours en service. Rowan et moi avons aidé à trouver la literie et à installer les garçons dans les lits superposés du dortoir, vraisemblablement les premiers lits qu’ils n’aient jamais connus.


Rowan et moi sommes retournés le matin et nous nous sommes installés dans le dortoir d’urgence avec les petits fugueurs. Ils semblaient nous faire confiance, et sortirent bientôt de leurs coquilles, jouant des jeux de chasse et de chatouille, lisant et dansant à la musique. Le travailleur social s'assis avec eux, un à un, pour essayer de comprendre d'où ils venaient, de quel daara, de quel village, de quel pays ? Avaient-ils été abusés ? Voulaient-ils rentrer chez eux ? Avaient-ils une maison où ils pourraient retourner ?

Cette fois seulement un seul garçon, Amadou, sera renvoyé chez lui. Ceci est prévu pour plus tard la semaine prochaine, après que son marabout aura été localisé et appelé à rendre des comptes. Les autres seront retournés à leurs daaras plus tard aujourd'hui. Une chose difficile. Mais, le Palais de Justice a parlé, et les garçons n'ont pas choisi de retourner chez eux - peut-être, il n'existe plus de chez eux pour eux. Mais Maison de la Gare les connaît maintenant, et ils connaissent Maison de la Gare. Maison de la Gare surveillera leurs daaras. Leurs marabouts savent qu'ils seront surveillés. Ça aide.

Je remis la rédaction de cette histoire de notre ronde de nuit jusqu'au moment où nous serions en route vers notre chez nous, sur le chemin du retour à ma réalité habituelle. Chacun d'entre nous semble savoir exactement ce qu’il peut supporter. Ces garçons talibés semblent pouvoir supporter bien plus que la plupart d'entre nous. Mais, pour l'amour de Dieu, pourquoi ? »




















Nous sommes reconnaissants à l'Union européenne dont la subvention a rendu possible les rondes de nuit régulières à la recherche de garçons endormis dans la rue, ainsi qu'à tous nos précieux supporteurs qui rendent possible tout notre travail pour ces enfants.