Témoignage d'Alessandra Battioni


Une porte toujours ouverte, pour tous. Pour les talibés, petits et grands, pour les toubabs (les blancs) qui passent, pour les membres du personnel qui réalisent parfaitement leurs tâches chaque jour, pour les enfants du quartier, pour les personnes de la ronde nocturne, pour quiconque veut tout simplement y jeter un œil.

Une porte ouverte qui dévoile un monde entier, un monde d’amour, de solidarité et d’entraide. Un monde fait de chaleur, de sueur, d’effluves de citronnier, de sable fin et d’odeur de désinfectant.

Un monde fait de regards remplis d’espérance et d’amour, de ballons rafistolés avec un bout de scotch, parce qu’un ballon reste un ballon et que c’est toujours l’heure pour un match.

Un monde fait de nattes vert et orange, qui servent aussi de matelas pour qui s’est réveillé trop tôt et est fatigué, et peut se reposer ici à l’ombre et en sûreté.

Un endroit où on parle avec tout le monde, autant avec des enfants de cinq ans qui veulent des câlins qu’avec des adultes qui désirent échanger avec toi, toi qui ne connais que très peu le français mais d’une façon ou d’une autre on se comprend toujours et on se parle de tout.

Un endroit où les jeux se répètent inlassablement, sans ennui et toujours avec l’enthousiasme de la première fois ; des t-shirts rouge et vert, un ballon, deux bouteilles, un grand cercle et ça joue, toujours.

Un endroit dans lequel tout le monde peut recevoir une aide médicale, où l’infirmerie est toujours ouverte et où en plus du remède au mal on trouve toujours la courtoisie et l’attention de ceux qui font ce travail avec joie et amour. Un endroit où les talibés peuvent prendre une douche, toujours avec un bout de savon pour eux et où ils peuvent laver leurs vêtements avec leur « Alessandra, madar ! » (madar est le savon qu’ils utilisent à cette fin).

Un endroit où ils peuvent se brosser les dents en faisant la queue au rythme de la musique des tambours djembé pendant qu’ils rient et blaguent entre amis. Un endroit où ils peuvent regarder un film assis tranquillement, à l’abri de ceux qui contrôlent la plus grande partie de leur vie ; mais ici, oui, ici ils sont libres, et ils peuvent apprendre l’anglais sans même s’en rendre compte en chantant tout simplement.

Un refuge pour la nuit pour qui ne rentre pas au daara. Et même plus, on va de nuit chercher les enfants qui sont dehors et avec gentillesse et amour on leur explique que dormir dans la rue est dangereux ; on leur offre un lit et une place sûre pour la nuit, en cherchant à comprendre leurs problèmes et leurs rêves.

Un endroit où la nourriture ne manque jamais pour personne.

Un endroit où il y a des bureaux dans lesquels des personnes se démènent entre documents et fichiers Excel pour que les choses tournent rond, que les comptes balancent et que tout soit rendu possible.

Un endroit où tu te sens à la maison, enveloppée d’amour et de bienveillance. La bienveillance qui voit les dermatites, les plaies infectées, les pieds nus, les vêtements déchirés et qui te montre que ce n’est pas facile, que le problème est endémique et que les solutions sont difficiles à trouver. C’est un endroit qui te rentre dans le cœur pour y rester pour toujours, mais aussi dans ta tête, pour chercher des solutions, chercher du financement, chercher des collaborations. Un endroit où les enfants t’appellent par le nom d’« Alessandra carte » et où se joue la énième partie de Memory avec des cartes maintenant toutes abimées mais tu ne prêtes pas attention à cela, car c’est notre jeu.

Tu regardes autour de toi une dernière fois et tu respires cet esprit d’entraide, cette envie de partager, cette recherche commune de solutions, et tu souris. Heureuse de cette expérience, heureuse de chaque moment, de ces moments infiniment durs où tu voulais hurler que ce n’est pas juste qu’un enfant doive affronter certaines choses, des moments extraordinairement joyeux, l’esprit libre de tout jugement.

Et tu remercies tout le monde. Tu quittes le centre une dernière fois (pour ce mois-ci du moins, qui sait… Insha’Allah) et tu penses que désormais ce n’est plus juste un endroit, mais toute une partie de toi.


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