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« Je vois encore des talibés mendier »































Human Rights Watch rend compte des progrès accomplis dans l'élimination de la mendicité des enfants au Sénégal, et Maison de la Gare répond


Le mardi 11 juillet, Issa Kouyaté a rejoint les militants des droits de l'homme du Sénégal lors d'une conférence de presse à Dakar au cours de laquelle Human Rights Watch a présenté son rapport sur les progrès réalisés dans l'élimination de la mendicité des enfants au Sénégal. Bien que ce rapport important signale certains progrès, sa triste conclusion est que les efforts déployés à ce jour sont loin de répondre aux besoins. Veuillez cliquer sur la photo de la page couverture du rapport ici pour accéder au texte intégral du rapport.

Maison de la Gare a répondu à ce rapport en organisant une randonnée pédestre dans les rues de Saint-Louis. Arouna Kandé, ancien talibé et membre du personnel, écrit : « En tant que talibé ayant survécu à la maltraitance au niveau de mon daara, je ne veux pas que mes petits frères subissent le même sort que moi. C'est la raison pour laquelle j'avais décidé de participer à la randonnée à travers les rues de Saint-Louis pour mettre fin à cela. Le slogan de cette randonnée c’était "SOPPI NEKKINOU XALLE YI" (Le comportement envers les enfants doit changer).

Nous avons pris le départ vers 9h du matin sur l'avenue Charles-de-Gaulle près du centre de Maison de la Gare. Les plus grands acteurs et partenaires dans la lutte contre la maltraitance des enfants nous ont rejoints dans cette mobilisation : Terres Rouges, Action Femme Enfant, Claire Enfance, Association Jeunesse Espoir, Univers de l’enfant et les acteurs gouvernementaux Action Sociale et Action éducative en milieu ouvert (AEMO) du Ministère de la Justice, entres autres. Accompagnés des clubs des randonneurs, qui sont eux aussi des citoyens sénégalais très préoccupés par la problématique des enfants talibés, nous avons sillonné plusieurs quartiers de Saint-Louis dans lesquels il y a une forte concentration de daaras. La marche a duré quatre heures de temps et les populations de presque tous les quartiers de Saint-Louis étaient frappées par un tel acte. »


Pour reprendre les mots du résumé du rapport de Human Rights Watch : « À travers le Sénégal, on estime à 50 000 le nombre de garçons vivant dans des pensionnats coraniques traditionnels, ou daaras, et qui sont forcés par leurs maîtres coraniques, connus sous le nom de marabouts, à mendier chaque jour leur quota d'argent, de riz ou de sucre. Les enfants de ces daaras sont souvent battus, enchaînés, attachés et soumis à d'autres formes d'abus physiques ou psychologiques qui relèvent de traitements inhumains et dégradants.

En juin 2016, le gouvernement a fait preuve d’un important engagement politique avec le lancement du nouveau programme de “retrait des enfants de la rue” (ou simplement “retrait”) dont le but était d’agir contre la mendicité forcée des enfants. ... »

« Pendant le mois qui a suivi le lancement du programme, des travailleurs humanitaires, des défenseurs des droits et des responsables gouvernementaux ont observé une baisse spectaculaire de la présence d'enfants mendiant dans les rues, à la fois à Dakar et à Saint-Louis. Mais l'absence d'enquêtes et de poursuites des maîtres abusifs s’est finalement soldée par un retour au statu quo. ... »

« De mai à juin 2017, Human Rights Watch et la Plateforme pour la promotion et la protection des droits humains (PPDH), une coalition de 40 organisations sénégalaises de défense des droits de l'enfant, ont observé les conditions de vie de centaines d'enfants dans des daaras sordides et insalubres de Dakar et de Saint-Louis. Dix-neuf des 43 enfants talibés anciens ou actuels que Human Rights Watch a interrogés dans les rues ou dans les centres d'accueil ont déclaré qu'ils avaient été battus parce qu’ils n’avaient pas étudié, parce qu’ils avaient essayé de s'enfuir, parce qu’ils étaient rentrés trop tard au daara ou parce qu’ils n’avaient pas réussi à atteindre leur quota journalier. Plusieurs marabouts interrogés dans les écoles coraniques ont admis avoir battu leurs talibés pour les mêmes raisons.

À la gare routière de la ville de Saint-Louis au nord du Sénégal, vers une heure du matin, Human Rights Watch et des travailleurs sociaux du centre pour enfants de Maison de la Gare ont trouvé un talibé de 9 ans recroquevillé de douleur, son T-shirt tiré sur sa tête. Le visage noyé de larmes, il a décrit la violence des coups que l'assistant d'un maître coranique lui avait administrés pour n'avoir pas respecté son quota journalier. “Je n'ai pas donné mon paiement au grand talibé ; alors il m'a frappé avec un bâton. Il a fait pareil à quatre autres talibés,” a-t-il raconté. Des blessures ouvertes et des cicatrices résultant des coups qu'il avait déjà reçus étaient visibles sur le dos de l'enfant. ... »

« Le Sénégal a ratifié toutes les principales conventions internationales relatives aux droits de l'enfant. Le Code pénal de ce pays criminalise les abus physiques et la négligence volontaire à l'égard des enfants. Par ailleurs, une loi de 2005 interdit la mendicité forcée et la traite des êtres humains. Cependant, un projet de loi de 2013 établissant un statut juridique et des règlements pour les daaras n'avait pas encore été adopté au moment de la rédaction du présent rapport.

Human Rights Watch, la PPDH et d’autres organisations et activistes de la société civile sénégalaise demandent au gouvernement de ce pays de renforcer le programme de retrait, d'enquêter sur, et de poursuivre, les maîtres coraniques abusifs, et d'adopter le projet de loi portant statut des daaras. »



Arouna partage ses sentiments à la suite de la randonnée : « La journée a été remplie d’émotion, de joie et de tristesse aussi. Je me suis rendu compte que nous ne sommes plus seuls, étant accompagnés par des ONG, des associations et des institutions. Ce jour-là j’étais triste intérieurement parce que ça me rappelait les mauvais souvenirs que j’avais vécus dans mon daara. Mais très content aussi d’être parmi ceux qui luttent pour l’amélioration des conditions de vie des enfants talibés. »
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Nous sommes reconnaissants à Lauren Seibert et Human Rights Watch pour leur permission de reproduire des photos et des textes de leur rapport. Et nous leur sommes particulièrement reconnaissants pour leur détermination sans faille à faire connaître et à mettre fin à la mendicité des enfants au Sénégal ainsi qu’à tous les individus et organisations du Sénégal et du monde entier qui s'engagent à atteindre cet objectif et qui rendent possible nos efforts pour les enfants talibés.